Conférencier et homme de lettres, Henry-Louis Dubly écrit : « La guerre a eu sur les esprits des industriels un effet bienfaisant qui a sa répercussion sur les rapports entre patrons et ouvriers. La tranchée les a réunis. Ils ont appris à se connaître et à se comprendre. »

De fait, le 13 juin 1919, à l’Hôtel de ville de Roubaix, délégués patronaux et ouvriers ratifient un accord portant sur les salaires, la semaine de 48 heures, instituant les 3 x 8, vieille revendication de Jules Guesde. Pour la première fois, les industriels descendent de leur piédestal et acceptent de discuter d’égal à égal avec les représentants du monde ouvrier.

Hélas ! L’esprit nouveau va vite s’éteindre, et ce, dès la première épreuve, en 1920, à propos des salaires et en raison de la hausse des prix. La grève est déclenchée le 10 mars , essentiellement conduite par le syndicat CGT textile. Vingt jours plus tard, le ministre du Travail reconnaît le bien-fondé de la position ouvrière. Le chemin du progrès social est arrivé à son extrémité : un grand retour en arrière s’annonce avec la création du Consortium de l’Industrie textile et le début de règne du tristement célèbre Désiré Ley, voix et bras séculier de la presque totalité du patronat textile de Roubaix-Tourcoing et des communes environnantes. Pour le malheur du Roubaisis, il durera près de 20 ans.

La grève... et toujours la misère

La première bataille – la plus grande grève de l’histoire de la région – débute le 16 août 1921, provoquée par le patronat qui veut imposer une baisse des salaires en invoquant la situation économique. La quasi-totalité des salariés du textile et des industries annexes est concernée. Le 12 septembre, la grève générale est déclarée, toutes corporations confondues, même les fonctionnaires. Désiré Ley refuse tout dialogue. Et gagne une première manche : dix jours plus tard, seuls font encore grève les 60 000 ouvriers du textile, de la métallurgie, des transports et du bâtiment. Dès la cinquième semaine, l’aide aux familles grévistes est indispensable : le Conseil municipal vote des secours exceptionnels. En huitième semaine, on exile les enfants des familles les plus démunies ailleurs dans la région, ou même au Havre, pour fuir la misère. Enfin, après 80 jours de grève, le délégué des syndicats tourquennois Henri Lauridan, fait décider la reprise du travail à Tourcoing sur l’affirmation que Roubaix vient de voter la fin de la grève. C’est faux mais le mal est fait : les ouvriers retournent à l’usine.

Le Consortium va alors s’efforcer, durant les années qui suivent de noyauter les syndicats, de les affaiblir. En 1930, une nouvelle provocation de sa part déclenche une nouvelle grève : à l’augmentation légitime des salaires réclamée par les syndicats, Désiré Ley répond par une contre-proposition : une prime annuelle de fidélité attribué à l’ouvrier qui n’a pas manqué un jour dans l’année.

Or, la qualité de la main d’œuvre n’est pas une vertu qu’il faut mettre en doute ; Désiré Ley l’apprend à ses dépens en affrontant un nouveau blocage des usines le 4 août 1930. Six semaines plus tard, il perd la bataille qui, au passage, divise le Consortium. On raconte qu’Eugène Motte, ex-député-maire de Roubaix, gifle – ou à tout le moins houspille – Désiré Ley sur le quai de la gare de Roubaix, alors que les parties en conflit sont convenues de se retrouver à Paris où un compromis ministériel (auquel Ley est hostile) doit être trouvé. Ce compromis est voté et accepté par les syndicats ouvriers.

Mais Ley est revanchard : le 10 avril 1931, il annonce une baisse de 10% des salaires suite au krach boursier américain de 1929 ! Nouvelle grève. A Wattrelos s’allongent les files d’attente à la porte du bureau de bienfaisance où l’on inscrit les demandes de secours des grévistes nécessiteux. Pendant ce temps, Désiré Ley affrète des cars ramenant la main d’œuvre de Belgique. Le personnage gagne en antipathie un peu partout : des patrons affichent leur dissidence et le Journal de Roubaix, qui le surnomme « le dictateur du Consortium », écrit : « La sagesse et l’humanité commandent d’en finir, non pas bientôt, mais immédiatement ». De fait, la population est affamée. Le 27 juillet, le mouvement de grève est terminé, brisé par les ouvriers belges et le démarchage à domicile des ouvriers par les directeurs et contremaîtres fidèles à Désiré Ley.

Le Front Populaire au pouvoir, les premiers congés payés

La succession de secousses sociales entrave l’action municipale qui pense d'abord à assurer la survie des grévistes. Le fonds municipal de chômage, créé en 1921, va être mis largement à contribution : du 1er octobre 1931 au mois de mars 1932, le nombre d’ouvriers inscrits passe de 22 à 1227 ! La commune annule les feux d’artifice des 1er mai et 14 juillet pour verser les crédits au Comité de secours aux chômeurs.

Les menaces politiques à l’extérieur des frontières et la crise économique à l’intérieur provoquent le rapprochement entre partis ouvriers et syndicats. Leur alliance avec les radicaux et diverses petites formations démocratiques donne naissance au Front Populaire. Nous sommes en 1936. Les élections du printemps portent la Gauche au pouvoir dans un contexte financier tendu (grève des capitaux). Heureux du résultat des urnes mais impatients, les ouvriers déclenchent une nouvelle grève pour réclamer 15% d’augmentation, 15 jours de congés payés, la semaine de 40 heures… Ils obtiennent gain de cause grâce aux accords Matignon et aux textes de loi que Léon Blum fait voter en quelques semaines en confiant leur application à Jean Lebas, député-maire de Roubaix devenu ministre du Travail.

La loi rendant obligatoire les conventions collectives a fait plier Désiré Ley. La loi instituant les congés payés a ouvert les portes des usines, le 26 juillet pour autre chose que la grève ou le chômage : Herseaux, petite gare belge frontalière, tête de ligne pour le littoral, enregistre 12 000 voyageurs français.

Wattrelos cesse d'être la ville la plus sous-équipée du Nord

Parallèlement à cette actualité sociale, le développement de Wattrelos s’accélère au plan urbanistique. De nouveaux quartiers sortent de terre comme la cité Amédée Prouvost, à Sainte-Thérèse, à l’Union. En 1939, Wattrelos compte près de 10 000 maisons et 31 000 habitants. Les terrains consacrés aux labours se réduisent ; de fait, les cultivateurs ne sont plus que 71 en 1930. Les métiers artisanaux disparaissent progressivement. En revanche, les établissements industriels sont passés de 33 en 1914 à 82 en 1936, dont 8 filatures et 13 tissages.

Pour la Municipalité, il faut aller à l’essentiel :

  • l’assainissement (couverture des fossés notamment) ;
  • l’installation de l’eau potable (distribution commencée en 1927) ;
  • l’éclairage au gaz de rues jusque là plongées totalement dans l’obscurité ;
  • la voirie (création de trottoirs, restauration de chemins, mise en viabilité d’axes principaux…) ;
  • l’enseignement (construction et agrandissement de groupes scolaires).

C'est aussi la période de l’achèvement ou de la construction de salles de fêtes pour les différentes amicales laïques, la création de douches, de terrains de jeux, d’un nouvel hospice en remplacement d’un bâtiment jugé « le plus insalubre du Nord, anti-hygiénique au plus haut degré » (1922), d’une maternité de 28 lits (1935), d’un pavillon pour les vieux ménages (1928), d’un dispensaire antituberculeux (1929), d’un service de vaccination antidiphtérique gratuit pour les enfants des écoles (1930), l’organisation de camps de vacances, et surtout, le 1er octobre 1928, l’ouverture de la première cantine scolaire, étendue aux autres groupes scolaires jusqu’en 1939.

En l’espace d’une génération, Wattrelos, la ville la plus pauvre, la plus sous-équipée du Nord, sinon de la France entière, est transformée. Oh, le tableau n’est pas enchanteur : la commune est à bout de souffle sur le plan financier, et le maire, Florimond Lecomte, se prend à rêver que les crédits alloués à l’armement puissent plutôt servir à poursuivre son programme de constructions scolaires. Espoir déçu. La Seconde guerre mondiale est là.