Le dimanche 3 septembre 1939, l’ordre de mobilisation générale est donné : la Seconde guerre mondiale a éclaté. Après une période de drôle de guerre, les blindés allemands se ruent sur les défenses néerlandaises et belges et les balaient en quelques jours. Le 15 mai 1940, des cohortes de réfugiés belges arrivent à Wattrelos. Les Allemands sont à quelques kilomètres. De Mouscron à Estaimpuis, ils se heurtent aux Britanniques qui acheminent des renforts. A Wattrelos, des combats se déroulent dans la plaine de Beaulieu. Le 27 mai, les Anglais se replient ; le 28 mai, la ville est pavoisée aux couleurs nazies.

C’est la panique, c’est l’exode. Personne ne veut revivre les terribles quatre années de la première guerre mondiale. Du coup, il ne reste à Wattrelos qu’un seul médecin : l’ancien maire Victor Leplat, qui exerce à l’hôpital de Wattrelos, ayant repris du service à l’âge de 77 ans. A la mairie, Jeanne Huyghe, sage-femme, tient le registre de l’état civil ; elle aide aussi les blessés et favorise le transfert et la protection des soldats ou évadés britanniques.

Dès le 16 juillet commence la distribution des cartes de pain ; de 1940 à 1944, le ravitaillement officiel sera, en moyenne par jour, de 100 à 300 grammes de pommes de terre, de 10 à 15 de graisse, de 20 à 26 de viande, de 200 à 300 de pain. La pénurie est, heureusement, à cent lieues de la famine de la première guerre mondiale. Mais elle favorise malgré tout l’apparition du marché noir. Wattrelos a la chance de compter encore 63 cultivateurs et un cheptel honorable, mais cela ne suffit pas et nombre d’habitants entretiennent un potager, certains sont même éleveurs !

Une ville de résistance

Face à cette situation, une poignée d’hommes et de femmes, dont l’audience va s’élargissant, espère. Mieux : elle agit. Ce sont les Justes qui feront de Wattrelos une terre de résistance reconnue, l'un des poumons pour le nord de la France.

La première tâche consiste à sauver et rapatrier les nombreux soldats alliés ou les aviateurs. La rapidité de la victoire allemande a en effet laissé à Wattrelos et alentours des soldats anglais isolés sans contact avec leur unité. Les héberger, les cacher et favoriser leur rapatriement est la priorité du moment. C’est également, le premier geste de Résistance. Un travail très risqué : dès mars 1941, Jeanne Huyghe, recherchée par la Gestapo, est contrainte à l’exil, mais pas ses complices Henri Vauban et Berthe Spriet qui sont arrêtés. Grâce à eux, plusieurs centaines de soldats britanniques parviennent à rejoindre l'Angleterre en passant par l'Espagne puis Gibraltar.

Le flambeau est repris par Marcel Delcroix, du réseau Ali France, et son groupe, notamment Madeleine Bény-Masure, Edouard Blomme, Hubert Quesnoy, Georges François, Henri Vandesype, Alfred Vanhecke, Marie Coppens-Barbieux… Ils participent à la formation et au fonctionnement de ce qui deviendra, dans la région Nord, le réseau international du Docteur Albert Guerisse, alias le lieutenant commander Pat O’Leary.

Mais cet esprit de résistance n'est pas le fait de quelques personnes. Dès le début de l'occupation, il est partagé par la population wattrelosienne dans sa très grande majorité. A commencer par le maire lui-même, Florimond Lecomte, qui se fait rappeler à l’ordre plusieurs fois par le préfet parce qu’il n’assiste à aucune cérémonie de Vichy, parce qu’il n’expose en mairie qu’un seul exemplaire du portrait officiel du maréchal Pétain (dans un couloir du premier étage peu fréquenté), parce qu’il porte plainte contre l’enlèvement du buste de Marianne dans la salle du conseil municipal… Mais le préfet, heureusement, ne sait pas tout des activités du maire de Wattrelos qui entrave également les réquisitions, crée un service de faux papiers d’identité pour les clandestins et la délivrance de titres de ravitaillement aux réfractaires du S.T.O., aux prisonniers évadés et aux agents des réseaux, accorde toute permission demandée par un employé municipal ayant une activité de résistance, abrite dans les bâtiments municipaux des postes émetteurs-récepteurs…

Manifestation patriotique, terribles représailles

Les Wattrelosiens sont patriotes. Ainsi, le 14 juillet 1941, ils sont plusieurs centaines à se rassembler au cimetière du Crétinier devant les tombes des soldats anglais tués un an plus tôt. Les drapeaux anglais et français sont déployés. Enfants, parents, grands-parents, on est venu en famille pour entamer God Save The Queen, La Marseillaise et L'Internationale. Les représailles qui s'en suivent sont à la hauteur de la manifestation : vingt otages wattrelosiens sont condamnés à des peines de prison. L'un des organisateurs, Marcel Vanelslander, est également arrêté et emprisonné à Loos. Il y trouve la mort le 7 janvier 1942.

L'année suivante, le démantèlement du réseau de Marcel Guislain Action 40 dont fait partie Marcel Delcroix, marque la fin de cette première période de la Résistance wattrelosienne. La seconde période, du début de l’année 1943 à la libération, est celle de l'avènement du War Office et de son chef anglais, le Capitaine Michel Trotobas. Parachuté le 18 novembre 1942, il est chargé par le S.O.E. (Special Operation Executive) d'organiser pour la région Nord Pas-de-Calais un réseau de résistance sous le nom de Sylvestre Farmer. Michel Trotobas, né d'un père marseillais et d'une mère irlandaise, parle très bien notre langue.Le premier contact a lieu à Raismes, près de Valenciennes, fin novembre 1942 entre le capitaine Michel et la Wattrelosienne Angèle Malfait qui crée dans la ville le premier groupe de résistants W.O. Les Wattrelosiens y joueront un rôle majeur.

Fin 42 et durant le premier trimestre 1943, les hommes se préparent à l'action. Au 46, rue Victor-Hugo, dans le quartier du Sapin Vert, et chez le cafetier Léon Carpentier, au 166 rue des Ballons, on se forme au maniement de mitraillettes, à la pose des explosifs. Le premier sabotage d'envergure vise l'usine de locomotives de Fives, réquisitionnée par les Allemands. Le capitaine Michel programme le coup dans la nuit du 26 au 27 juin 1943 ; 15 hommes y participent. Parmi eux, neuf Wattrelosiens : Arthur et Paul Malfait, Georges Philippot, Henri Vanderzype, Désiré Debecker, Alphonse Gaffez, Henri Verporte, Jean Vanhoute et Albert Desmarchelier. Parlant très bien l'allemand, Henri Vanderzype porte au bras le brassard nazi et hurle des ordres. Personne ne doute qu'il soit allemand. En dehors d'Arthur Malfait et du "surprenant officier allemand", les sept autres résistants sont habillés en policiers auxiliaires de la ville de Wattrelos. Ce sabotage est une réussite totale : son retentissement est national et la tête des "terroristes" participants est mise à prix.

Arthur Malfait recrute et prend pied dans les chemins de fer par l'intermédiaire d'Emile Dubocage et Alfred Vanhecke. Le 3 novembre 1943, c’est au tour de l'usine d'appareillage électrique Desmet à Ronchin, également réquisitionnée, d'être entièrement détruite, avec la participation du cheminot Emile Dubocage. Deux jours plus tard, le déraillement d'un train d'essence, à proximité du Pont des Arts à Roubaix, fait perdre 300 000 litres d'essence à l’ennemi. Le même soir, un sabotage au Hutin, sur la voie ferrée, endommage du matériel de guerre. Quatorze wagons déraillés ou fracassés, douze pièces de DCA fortement endommagées doivent retourner à l'usine pour révision. Le 9 novembre 1943, Arthur Malfait, Georges Philippot et Henri Bracaval, s'en prennent, toujours au Hutin, à la grue de 35 tonnes venant d'Aulnoye, servant à relever les wagons déraillés. Malgré les nombreux gardes et patrouilles allemands, ils arrivent à placer leur charge, mais le sabotage n'a pas le résultat espéré, ne causant que quelques avaries à la grue ainsi qu'à la voie. Et ainsi de suite jusqu'à la nuit du 20 décembre 1943 durant laquelle, au dépôt du Sapin Vert, onze locomotives et huit machines outils sont mises hors d'usage par cinq résistants : Arthur Malfait, Jean Debuigne, Gabriel Royer, Paul Cousaert et Georges Delepaut.

Le réseau Sylvestre Farmer dans l'œil du cyclone

Le canal de Roubaix est un autre objectif primordial, surtout après le débarquement. La quasi paralysie des transports ferroviaires incite les Allemands à utiliser les voies d'eau : c’est en outre un moyen de transport de fort tonnage que les allemands emploient pour acheminer des matériaux pour les fortifications du mur de l'Atlantique. Conscient de l'enjeu, Arthur Malfait fait du blocage du canal de Roubaix l'objectif n°1 et donne des ordres en ce sens. Le résultat est à la hauteur de son attente : fin 1943, les résistants wattrelosiens, roubaisiens, tourquennois et d'autres, se mettent en action et mènent treize opérations. Résultat : trois ponts sabotés, deux péniches coulées, deux péniches échouées, cinq kilomètres de bief vidé (du coup, les riverains y cultivent leur jardin !) et arrêt de la circulation fluviale durant 3 mois, du débarquement à la Libération !

Ces actions répétées, couronnées de succès, font des membres du réseau Sylvestre Farmer des cibles prioritaires de la Gestapo. Elle promet un million de francs à ceux qui les dénoncent. Trahison ou pas, la répression ne tarde pas à s'abattre : le 27 novembre 1943, le capitaine Michel et sa compagne Denise Gilman sont abattus par les Allemands au 20 boulevard de Belfort à Lille. Paul Cousaert, cheminot au Sapin Vert, est arrêté le 22 décembre. Torturé, déporté, il meurt au début de l’année 1945. Alfred Vanhecke et Emile Dubocage tombent le 12 janvier 1944 ; le douanier Maurice Deghouy le 14 février. Tous décédés dans les mêmes conditions. Georges Philippot, livré par un gendarme français aux Allemands, est fusillé le 16 août 1944. Il faut aussi rappeler la mémoire de Claude Weppe et de Georges Seghers, ainsi que celle de Jean Vanhuyssen, mort en déportation.

Wattrelos ne peut oublier non plus un autre de ses grands résistants, le docteur Delmas Marsalet. Natif du sud ouest, il est installé au 432 rue Jules Guesde. Fait prisonnier puis libéré le 14 août 1940, il retourne dans sa région natale et se fait passeur d'homme vers l'Espagne. Revenu à Wattrelos en 1942, il entre en contact avec plusieurs réseaux et soigne les résistants blessés. Arrêté le 17 août 1944, il fait partie du sinistre train de Loos. Il trouve la mort en déportation le 27 avril 1945.

D'autres ont la chance d'y échapper, notamment Désiré Debecker et trois membres de la famille Malfait : Angèle, Arthur et Paul. Ils doivent déménager quatorze fois en treize mois, cachés par les uns et les autres !

Pour les résistants recherchés par la Gestapo, trouver un toit ami est une question de vie ou de mort. Beaucoup trouvent refuge au 269 rue Carnot, où Paul Vanalderwelt et son épouse tiennent un commerce de légumes ; c’est aussi un haut lieu de la résistance wattrelosienne. C'est là que se réunissent des résistants appelés à des fonctions importantes après la Libération : MM. Verlomme, Préfet du Nord, Benedetti, futur Préfet, Bonnaud, commandant de la police de Lille, Houcke, sénateur-maire de Nieppe. Chez les Vanalderwelt, la résistance est une affaire de famille. Hélène, la sœur de Paul, entrée dans les ordres sous le nom de Rose, participe activement comme infirmière à la bataille de Dunkerque. C’est elle qui oriente, MM. Marrant et Dussart, respectivement sous-préfet et commissaire de police de Dunkerque, menacés d'arrestation, vers le 269 rue Carnot à Wattrelos où ils trouveront refuge. De retour dans sa ville natale, Sœur Rose prête serment au réseau Sylvester Farmer en juin 1943 : elle s'emploie alors à soigner les Résistants blessés et sert d'agent de liaison avec ceux emprisonnés à Loos. Les Vanalderwelt sont tellement discrets dans leur activité résistante, qu'ils passent à la libération pour des collaborateurs aux yeux de quelques énergumènes qui peignent des croix gammées sur leur devanture !

 

Des centaines d'anonymes dans la lutte

On s'en doute, le 269 rue Carnot n'est pas le seul point de chute de la ville pour tous ceux que la Gestapo traque. Au Mont-à-Leux, Cécile Verbrughe se fait passeuse d'hommes à la demande de Jean Liegors. Le réseau fonctionne de juillet 1943 à la libération. Au 6 rue Saint-Gérard, M. et Mme Saint Ghislain cachent une centaine de prisonniers évadés avant leur arrestation en janvier 1944. Aux Ballons, Léon Carpentier héberge Georges Philippot. A la libération, il fournit plus de 150 repas par jour aux résistants ! Depuis la mairie, Paul Perrin et Albert Haire délivrent faux papiers et tickets de ravitaillement.

Difficile de les citer tous, mais on estime à plusieurs centaines le nombre de ces anonymes qui, d'une façon ou d'une autre, apportèrent leur concours à la lutte clandestine. Parmi eux, les douaniers occupent une position stratégique. De par leur situation, ils ont une connaissance quotidienne des mouvements des troupes ennemies et des autres déplacements. Ils sont aussi des relais précieux pour les clandestins ou les évadés, tout comme ils apportent leur aide aux actions menées par la résistance. Répartis entre les postes du Touquet-Les Moutons, de la Martinoire et de la Houzarde, seize douaniers wattrelosiens du W.O. participent activement à la Résistance. Ange Droguet est un de ces hommes dont le courage et la souffrance forcent le respect. Résistant dès juin 1940, il organise le passage de plusieurs centaines de britanniques. Il entrepose également des armes à son domicile jusqu'à son arrestation, le 20 juin 1942. Atrocement torturé, il ne livre personne. Finalement libéré, il reprend son activité au sein d’un réseau affilié aux services secrets anglais. A la libération, les douaniers de Wattrelos déplorent quatre disparus pour faits de Résistance : Maurice Deghouy, Marcel Desprez, Gilbert Duhayon et Maurice Meirlandt.

Au sein d'un milieu patronal, marqué le plus souvent par l'attentisme, voire la collaboration économique, Albert Prouvost fait exception. Sous le pseudonyme de Jean Bernard, il agit sur plusieurs plans. Il aide de nombreux Résistants et aviateurs anglais à rejoindre Londres. Il se préoccupe aussi du sort des jeunes requis dans le cadre du Service du Travail Obligatoire. Pour y échapper, il leur propose de devenir caviste en Champagne, chez Moet et Chandon, société tenue par les oncles de sa femme. Dans sa propre entreprise, le Peignage Amédée Prouvost, il installe une imprimerie clandestine. Autre initiative : une collecte de fonds organisée auprès de ses amis industriels, Bernard d'Halluin, Jacques Masurel, Alphonse et Eugène Motte, Alphonse et Jean Tiberghien pour financer l'activité des réseaux.

2 septembre 1944 : libérés !

Quelques jours avant la libération, Albert Prouvost est au centre d'une négociation entre le commandement Allemand de la région Nord et la Résistance. Le général Niehoff s'engage à libérer tous les résistants détenus à Loos, si les maquisards ne s'opposent pas au départ du dernier convoi allemand. Les responsables du réseau Sylvester Farmer n'y croient pas une seule seconde, ils savent de quoi sont capables leurs ennemis. En effet, le 1er septembre 1944, parti de Tourcoing, un dernier train emmène vers le camp de la mort 900 prisonniers de Loos. Les résistants wattrelosiens, avec à leur tête Henri Bracaval, essaient bien, à hauteur du pont des 44, rue du Mont-à-Leux, de l'intercepter mais doivent y renoncer devant l'importance des moyens mis en place par les Allemands. Bien peu de prisonniers du train de Loos reviendront vivants des camps de la mort…

Le lendemain, le 2 septembre 1944, Roubaix et Wattrelos sont libérées. Le gros des forces allemandes a « décroché » dans la nuit. Il reste quelques soldats ou quelques véhicules isolés, également sur le départ, notamment un camion avec deux fantassins couchés sur le garde boue, fusils pointés, les deux roues équipées de balais contre les clous. Telle est la dernière image de l'armée allemande à Wattrelos, remplacée le jour même par les troupes anglaises. En revanche, à la frontière, ainsi qu'au Haut Vinage à Wasquehal, des combats opposent encore plusieurs jours les FFI aux Allemands en retraite.

De nouveau, on peut vivre normalement, sans crainte, en gardant cependant au fond de soi le souvenir d'un parent, d'un ami, d'un proche, victime de la barbarie nazie.

A l’Hôtel de ville le Comité local de Libération, fort d’une dizaine de membres, assure l’intérim, avant qu’une délégation municipale de vingt-et-un membres ne prenne en main l’administration de la commune : nous sommes le 5 novembre 1944 et le socialiste Louis Dornier en est le président.

Wattrelos a payé un lourd tribut afin que l'envahisseur soit chassé de notre territoire : 80 militaires, 31 prisonniers, 13 résistants dont 5 fusillés ou exécutés, 6 FFI et 37 victimes civiles, soit un total de 167 personnes.

Les décès, directs ou indirects provoqués par la guerre, l’exode, les logements détruits ont fait chuter la population de plus de 2000 habitants. En 1946, Wattrelos compte 28 796 administrés. Devenue une ville, la commune va-t-elle redevenir un village ? Non grâce au Comité interprofessionnel du logement (C.I.L.), né dans la clandestinité qui fait entrer en action, dès 1946, engins excavateurs et bulldozers pour réaliser un plan de construction de logements sans précédent. La transformation est en marche.